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Ce regard... Marius, Cathie et Georges

Publié le 21 Octobre 2014 par Dr FEES

Marius a 15 ans et débarque au cabinet accompagné de sa mère car le mercredi après-midi, c'est connu, le pédiatre ne consulte pas.

Mon assistante me prévient que la mère n'est pas nette, elle faisait tout répéter au téléphone et arrive seize heures avant le RDV prévu.

Première consultation, donc la liste des antécédants. Lui n'a jamais rien eu

On passe à la famille, la soeur est porteuse d'une sclerose en plaque de longue date, la grand mère s'est pendue, et la mère est sous neuroleptiques...

Le problème est que du haut de ses quinze ans, il sait prendre des initiatives et maman intervient sur tout, avec la lenteur de sa dysarthrie, de ses dyskinésies, son hypostasie.

Je squizze la mère, je lui fait sa consultation, à lui. Il n'a rien de méchant, une virose respiratoire banale, il n'aura pas d'ordonnance. Sa mère revient à la charge, lentement.

Je réexplique, il s'impatiente.

Au moment de se quitter, lorsque je le salue, il tourne la tête, de honte.

Promis, je sais, la prochaine fois, je laisserai ta mère en salle d'attente et on pourra discuter, et je te dirai que tu n'y es pour rien, que tu ne dois pas avoir honte, que c'est la vie, et qu'elle est parfois injuste.

Aujourd'hui, j'ai revu Cathie, ca faisait un mois depuis la dernière fois.

Une histoire affreuse, je suis amené a consulter sa mère de presque 90 ans, seule au domicile, autonome, qui tombe et se fracture un bras. Rien de grave, je suis chargé de la voir lors de son hospitalisation temporaire en post op immédiat. Je dis bien en post op...

Un traitement avec des décorations, mais rien de mortel, je dois la voir trois semaines, je ne sors pas les grandes théories. Ah, ben si en fait...

Je pose le stétho, et mes oreilles saignent, en trois secondes, rétrécissement aortique serré, valve mitrale incontinente, insuffisance cardiaque sévère. Dans le dossier hospitalier, rien, walou. Y a un anesthesiste qui a réussi à endormir cette dame...

Cathie comprend ma stapeur, et se démène, elle connait la secrétaire du cardio, organise tout en 2 minutes.

Sa mère me regarde et s'étonne que ce soit la première fois qu'on lui parle du coeur, pour ses 90 ans, oeil malicieux. Le regard de sa fille est autre...

Le cardio rend son verdict, le couperet tombe, c'est terminal, inopérable, les diurétiques, la dobutamine, rien ne fonctionne. Retour à la maison de retraite, endormissement serein lors d'une nouvelle poussée d'insuffisance cardiaque.

Aujourd'hui, j'ai revu Cathie, souriante, mais l'oeil triste, elle vient de reprendre le boulot, après avoir enterré sa mère. Ce regard résumait tout.

Je me souviens de Georges, un de mes tous premiers patients, un de mes préférés. Qu'est ce qu'on a déconné ensemble. L'infirmière était tellement sale et incompétente que c'est moi qui venait faire son pansement d'ulcère, ca m'arrangeait bien, c'était le début du cabinet, je n'avais pas grand chose à manger.

Georges était marié, mais bon, sa femme était démente et en maison de retraite. J'avais signé le constat de décès lors de ma première garde, Georges ètait le plus malheureux, je n'avais que rarement vu un tel regard de l'homme qui perd sa femme. Dur.

J'avais été choisi et je l'ai donc pris en charge Georges. Son autonomie a diminué et ses promenades sont devenues rares, impossible d'aller au bord du champ et d'aller voir "les ch'vaux, couillon". Georges a la malice dans les yeux, quand il parle du bal des pompiers, quand il me raconte les coins des champignons, quand il évoque ses petits enfants...

Et tous les 3 jours, dimanche compris, je viens faire son pansement, j'entend son sourire dès que je pousse la porte, on plaisante pendant que je fais son pansement, ca sent mauvais, il a une invasion de souris dans la cuisine, uen me court entre les pieds et je fais un bond de surprise. Il est parti dans un fou rire monumental et j'ai ri avec lui. Il en pleure de rire. J'ai fait mieux que Laurent Gerra à la télé...

Je garderai de George ce regard malicieux, de gars de la campagne, un peu rustre mais super attachant.

Trois consultations, trois regards, la honte, la tristesse et la malice. On voit tout dans les yeux... Je vais devenir iridologue, non je déconne.

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T
C'est un beau témoignage que vous partagez avec nous. Il est rassurant de savoir que certains médecins parviennent encore à cerner des sentiments ou des traits de caractère. Trop souvent, les médecins ne s'attardent pas sur les patients. On ne peut pas leur en vouloir, ils manquent de temps comme de moyens ! Et ce n'est pas la loi de santé récemment votée qui va arranger ça.
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