P a été hospitalisé dans un grand CHU. Faut que j'vous raconte...

Service de pointe en chirurgie oncologique. Il est arrivé la veille la soir, chambre seule, vieillotte, il est préparé, douché, rasé.

J'arrive a six heures du matin, soutenir M avec ma femme.

7h30 il part pour une chirurgie de dix heures. Nous aussi nous partons, pour tuer le temps, arpenter les rues de grande ville.

A 11h, on fait un crochet par le service, savoir si tout va bien. Je passe la tête dans l'infirmerie, un interne m'agresse, "On ne s'occupe pas des entrées. Cherchez une infirmière." Alors, jeune con, je ne t'ai rien demandé, je pense que tu seras très bon toi plus tard. Tu es très très bien parti, surtout ne change rien. Je trouve le bureau de la surveillante, elle appelle et tombe sur le chirurgien. C'est fini, la chir n'a pas eu lieu. On nous envoie dans la chambre.

M s'effondre, sa bouche se tord, son visage prend dix ans en un instant. Le chirurgien arrive, "Y avait rien a faire, tout est envahi. Je contacte le cancérologue". Cinq secondes, la porte se referme.

Vous croyez que l'histoire est finie? Dans le sordide? Et bien non...

P remonte en chambre, 16heures. Il sait. Il veut une piqure, que tout se termine, que nous n'ayons pas a vivre la suite. Il ne veut plus rien.

17h, la première infirmière, gentille, gauche, polie. Elle branche les antalgiques, s'emmêle dans les fils, veut faire un branchement, n'y y arrive pas, "vous savez, c'est mon troisième douze heures, je suis crevée". Elle part chercher sa collègue, il manquait un robinet. "Vous savez, c'est mon troisième douze heures, je n'arrive plus a réfléchir". Elle finit son merdier, arrange l'oreiller, "vous savez, c'est mon troisième douze heures, je suis..." Oui, on sait..,

Arrive la psychologue, jeune, très gentille, souriante, un dossier sous le bras, elle parle avec P, nous sortons de la chambre. Le chirurgien passe dans le couloir, nous lance un regard, se retourne vers une infirmière, "et madame machin (nom complet) a repris son transit?".

Je vous jure que c'est vrai, P n'a pas eu de contre visite.

Le troisième douze heures d'affilée repasse prendre la température, remplir la feuille, vérifier ses branchements, "Je m'excuse pour tout à l'heure, vous savez, c'est mon..." Oui, je crois qu'on sait.

En réclamant trois fois, on obtient un bol de bouillon et une compote, on nous confirme que le chirurgien est bien parti.

Je suis revenu ce matin, il est neuf heures. P est dans son lit, figé, hagard, les yeux embués. On se prend la main. C'est l'heure de la toilette. L'heure tourne. J'y retourne. C'est difficile. Le taxi m'appelle, je dois y aller. Le chirurgien n'est pas revenu dans la chambre .

Merci aux infirmières, à la psychologue, toutes gentilles, même la trois fois douze.

Non, grand professeur, je n'ai aucune animosité envers toi, tu n'y es pour rien si P va mourir, si la tumeur est inopérable.

Par contre, je te méprise au plus haut point sur ton manque complet de respect.

Cher Professeur, P ne grèvera pas tes statistiques, tu ne l'a pas opéré. Tu peux ranger le dossier.